Alex Matter: du football de rue jusqu’à la LNA

Alex Matter (à droite) croqué en 1966 à Bucarest en marge de son seul match en équipe de Suisse. Au centre, on reconnaît le sélectionneur Alfredo Foni.

Les moins de 30 ans l’ignorent peut-être. A une certaine époque, aujourd’hui révolue, on pouvait, tout gamin, pratiquer assidûment le football de rue, autrement dit, se former sur le tas, et accomplir ensuite, bien plus tard, une brillante carrière en LNA. Et même disputer un match sous le maillot de l’équipe de Suisse! Telle fut la stupéfiante destinée, dans les années 60 et 70, d’Alex Matter, un enfant né à Münsingen dans une famille alémanique qui est ensuite venue s’installer à Tramelan alors qu’il avait 3 ans.

Nous sommes allés boire un pot et converser avec Alex Matter, 11 ans de LNA au compteur (six à La Chaux-de-Fonds, cinq à Bienne). Agé aujourd’hui de 81 ans, le citoyen de Péry est toujours membre de l’Amicale du FCTT et par ailleurs spectateur régulier des matches à domicile de notre 1re équipe.

Alex, tu peux nous raconter tes premiers pas de footballeur?

Tout a commencé dans la rue, à Tramelan-Dessous. Ma passion pour le foot est née de cette manière. Avec une bande de copains, nous jouions pratiquement tous les jours, en sortant de l’école, de longues heures durant. Ensuite, mes parents m’ont inscrit au FC Tramelan. J’ai fait partie de la première volée des juniors C, une équipe qui venait d’être créée. A partir de là, eh bien j’ai suivi toute la filière tramelote, jusqu’en juniors A. Avec cette équipe, nous avons vécu des émotions particulièrement fortes lorsque nous avons remporté un tournoi international à Lucerne. A mes 17 ans, Eric Schafroth, l’entraîneur, connu parce qu’il avait le flair pour détecter les talents, m’a appelé en 1re équipe tramelote. Elle évoluait en 2e ligue. J’y suis resté deux saisons, avant de prendre du galon et de signer à La Chaux-de-Fonds.

C’était le FCC de la grande époque…

Oui! Celle des Willy Kernen, Charly Antenen, Kurt Leuenberger, Philippe Pottier, Leo Eichmann, Georges Vuilleumier, Heinz Bertschi, Cocolet Morand et j’en oublie… Au début, dans le vestiaire, j’étais très intimidé, je les vousoyais tous! Mais ces stars m’ont réservé un bon accueil et j’ai assez vite décroché une place de titulaire.

Avec le FCC, alors coaché par le Français Henri Skiba, tu as été sacré champion de Suisse en 1964!

Le seul titre de ma carrière en fait, un moment inoubliable. Tout s’est joué lors de l’ultime journée de LNA, au stade de la Charrière, face à Bâle (réd: en présence de 7500 spectateurs). Pour décrocher le titre, nous devions absolument rafler les deux points (réd: ce que valait une victoire à l’époque). Nous nous sommes imposés 2-0 et avons bouclé ainsi la saison avec une longueur d’avance sur nos deux poursuivants Zurich et Granges.

Aussitôt après cet exploit, tu quittais La Chaux-de-Fonds et signais à Bienne, toujours en LNA. Pourquoi?

Parce que le FC Bienne me courtisait. Je suis resté à cette bonne vieille Gurzelen durant cinq saisons, dont quatre en tant que capitaine. Ce furent de belles années. J’ai eu pour entraîneurs des gens comme Hans-Otto Peters, Horst Szymaniak, Branko Vidjak et Georges Sobotka. Et j’ai joué avec des coéquipiers de choix comme Edgar Graf, Fredy Kehrli, Didier Mackay, Jean-Pierre Serment, Ambros Leu et Remo Quattropani, sans oublier les gardiens Markus Rosset et Werner Tschannen.

Les deux dernières années de ton imposante carrière en LNA, tu les as passées à nouveau du côté de La Chaux-de-Fonds…

En effet. Entraînée par Jean Vincent, l’équipe avait un peu perdu de sa splendeur. Nous avons fini deux fois en milieu de classement.

Au fait, tu tenais quel poste?

Dans les juniors, puis jusqu’à ma première arrivée à La Chaux-de-Fonds, j’étais attaquant. Mais très vite, sur l’injonction de Willy Kernen, j’ai été muté en défense, comme latéral. Et cela n’a plus changé.

Tu t’es hissé au sommet du football suisse sans avoir suivi la filière d’une quelconque académie. Une telle ascension serait-elle possible en 2023?

Probablement pas. Ou alors, elle tiendrait de l’exception. Aujourd’hui, à ce niveau, les joueurs sont tous des professionnels dûment formés. Moi, j’étais un simple amateur. Tous les jours, je bossais jusqu’à 17h comme électricien dans l’entreprise de mon père. Ensuite, quatre à cinq fois par semaine, je filais à l’entraînement. Mes semaines étaient bien remplies. D’autant plus que s’ajoutait le temps passé pour obtenir ma maîtrise fédérale…

Le foot au FC La Chaux-de-Fonds, ça te rapportait gros?

Je percevais le salaire moyen d’un ouvrier, soit 400 francs par mois. Nous touchions aussi une prime de 100 francs par point, étant entendu qu’une victoire ne rapportait alors que deux points. Je suis né 30 ou 40 ans trop tôt. Une vraie carrière de pro m’a filé sous le nez…

En 1971, soit à l’âge de 30 ans, tu as quitté le sport d’élite pour revenir au FC Tramelan…

Oui, j’ai d’ailleurs fini ma carrière d’actif dans mon club formateur, comme entraîneur-joueur de l’équipe fanion, à 38 ans. Par la suite, j’ai aussi joué dans la «deux», puis dans les vétérans et super-vétérans, jusqu’à 60 ans. Mes genoux m’ont alors intimé l’ordre de dire stop, et je me suis mis au tennis. Encore aujourd’hui, quelques copains et moi nous retrouvons deux fois par semaine sur les courts du Tennis-Club Tramelan, aux Reussilles.

Tu aurais pu devenir entraîneur au plus niveau, aussi?

En tout cas, j’ai obtenu tous les diplômes, y compris celui d’instructeur ASF. Mais cela s’est arrêté à mes expériences tramelotes. Et à une année passée au service du FC Aurore. Le club biennois, qui venait d’accéder à la LNB, m’avait engagé comme conseiller technique et assistant de l’entraîneur Robert Müller. Mais j’ai vite renoncé à persévérer dans cette branche. J’avais une profession trop prenante pour prétendre monter en grade comme entraîneur.

Quel regard portes-tu sur l’évolution récente du FCTT, sur son statut actuel?

Un regard admiratif. La fusion entre Tavannes et Tramelan, en 2001, était une bonne chose. Elle a permis au club, dont j’apprécie l’ambiance familiale, de connaître un essor réjouissant. La 1re équipe a toujours défendu bec et ongles sa place en 2e ligue inter. Respect pour ça. Aujourd’hui, le FCTT est devenu une vraie fourmilière. Il est riche d’une multitude de membres et de juniors. Nous n’avions pas un tel foisonnement à l’époque…

———————————————————–

Une très (trop) brève carrière en équipe de Suisse

Considéré dans les années 60 comme l’un des meilleurs défenseurs du pays, apprécié aussi pour son rendement offensif, Alex Matter est entré dans les annales de l’ASF pour avoir disputé un match sous le maillot de l’équipe nationale. Un seul… C’était le 2 novembre 1966 à Bucarest contre la Roumanie, une rencontre comptant pour les qualifications de l’Euro 68. Quelques mois plus tôt, il avait déjà été retenu dans les 26 pour la Coupe du monde en Angleterre, mais sans recevoir de temps de jeu.

«Ce soir-là à Bucarest nous avions perdu 4-2», se remémore celui qui défendait alors les couleurs du
FC Bienne. «La sélection suisse était coachée par l’Italien Alfredo Foni. J’ai eu la malchance de me blesser en cours de seconde mi-temps, j’ai dû sortir et nous avons fini à 10. Oui, car à l’époque, les équipes n’avaient droit qu’à un seul changement, et encore, pour autant qu’il s’opère avant la pause…»

Alex Matter a eu beau recevoir des éloges pour la qualité de sa prestation, il n’a jamais pu remettre le couvert sous le maillot national. Son palmarès, qui comprend aussi en parallèle des capes en sélections régionales et en équipe de Suisse juniors, ne s’étoffera pas davantage. «Il faut dire que mon poste était occupé d’habitude par le Lausannois André Grobéty, un excellent joueur, qui n’était jamais blessé», explique-t-il. «Et puis, il y avait des clans, des partis pris. Si j’ai eu des regrets? Oui, forcément. Mais j’étais impuissant face à des décisions qui ne m’appartenaient pas.»

Dans le privé, Alex Matter a eu deux filles, Valérie et Alexia, d’un premier mariage. Devenu veuf, il s’est remarié et est devenu père d’une autre fille, Alez, et d’un garçon, Ernesto. Il a exercé le métier d’électricien, dans l’entreprise de son père, qu’il a reprise après le décès de celui-ci et après avoir passé le maîtrise fédérale. «Mais, à la longue, ce job était trop astreignant, trop usant», confie-t-il. «Alors, je n’ai pas hésité quand j’ai eu l’opportunité d’être engagé par l’entreprise biennoise Arn & Hess, en tant que responsable technique.»

Aujourd’hui, à 81 ans (il est né le 1er novembre 1941), Alex Matter est toujours dans le coup. Il se rend encore au bureau chaque matin, pendant quelques heures, pour donner un coup de main à son entreprise.

Partagez ce post

D'autres articles à lire

Merci d'avoir lu notre article